a forêt semblait s’être figée. Seule la brume se déplaçait encore en volutes imperceptibles coulissant entre les troncs. La voix glissait au milieu des arbres, claire et distincte, se propageant comme si aucun obstacle ne se dressait sur sa route. Une caresse dans la brume, écrin blanc qui ne masquait pas le son mais sa provenance. Saelion avançait dans cette ambiance éthérée, fasciné par le chant cristallin.
l était parti quelques jours plus tôt du campement Nando de Tol Galen. Après avoir rejoint le cours du Gelion et l’avoir remonté vers le nord, il avait bifurqué vers le nord-ouest. Il projetait ainsi de rejoindre Nargothrond en longeant le versant sud d’Andram plutôt que de remonter jusqu’à Estolad. Les Elfes de la Nuit lui avaient déconseillé d’emprunter ce chemin, car il contraignait à couper à travers la forêt de Taur-im-Duinath où peu se rendaient. De nombreuses rumeurs courraient sur ce vaste bois et, voyant que Saelion ne comptait pas abandonner son idée, les Elfes de Tol Galen le supplièrent de ne pas bifurquer vers l’ouest avant d’avoir vu le sommet d’Amon Ereb.
l’ouest de l’endroit où le Brilthor rejoignait le Gelion se trouvait en effet une portion de forêt environnée de brume en permanence. Ceux qui frôlait l’orée dans leur course entendaient parfois une voix envoûtante chantant une mélodie dont ils craignaient la terrible beauté. La plupart continuait leur chemin mais certains s’enfonçaient dans les profondeurs de la forêt. De ceux-là il n’était plus fait mention par la suite.
aelion s’était amusé à la mention de la brume. Il s’était contenté de répondre qu’elle était parfois plus une protection qu’une menace, et qu’elle pouvait cacher de bien belles choses. Le Sinda avait ensuite fait ses adieux à Tol Galen et était parti vers l’ouest en suivant le cours de l’Adurant. Quand il eut disparu à l’horizon, bien des années s’écoulèrent avant qu’il ne réapparaisse. Et pendant tout ce temps il resta caché aux yeux de tous, hormis deux.
a forêt semblait s’être figée. Seule la brume se déplaçait encore en volutes imperceptibles coulissant entre les troncs. La voix glissait au milieu des arbres, claire et distincte, se propageant comme si aucun obstacle ne se dressait sur sa route. Une caresse dans la brume, écrin blanc qui ne masquait pas le son mais sa provenance. Saelion avançait dans cette ambiance éthérée, fasciné par le chant cristallin.
rrivé au bord d’un ruisseau, le Sinda arrêta sa monture. Il était déjà passé par là. Il ferma les yeux, tentant de faire abstraction du chant pour se concentrer sur les bruits de la forêt. Mais les arbres restaient muets. Aucun gardien de Yavanna ne se manifesta, ni aucun animal. L’Elfe rouvrit les yeux. Il ne faisait aucun doute à présent qu’il y avait quelque maléfice à l’œuvre. Il descendit de cheval et tira son épée. Le ruisseau impétueux l’invitait à le suivre. Avançant prudemment après avoir adressé quelques mots à sa monture, Saelion s’engagea le long du ruisseau qui courrait vers le sud-est. Le cours d’eau, sans avoir agrandit son lit, arriva au bout d’un plateau rocheux, d’où il chuta joyeusement dans une vallée. Et l’origine de la voix fut ainsi révélée, car dans le lac qui paressait en contrebas se tenait une femme qui chantait.
aelion resta immobile. Il n’était plus seulement envoûté par la voix : il était captivé par la longue chevelure auburn qui tombait en cascade flamboyante sur la peau laiteuse. Captivé par les mouvements simples et gracieux qui donnait à chacun des gestes la légèreté et l’allure d’un mouvement de danse. Captivé par le tracé de la nuque lorsque, l’espace d’un instant, elle inclina la tête. Captivé par la silhouette nacrée d’eau lorsqu’elle se redressa. Et, quand elle se tourna, il fut captivé par les traits sobres et doux du visage, la finesse du nez. Il fut captivé par l’intensité du regard smaragdin qui se posa sur lui. Le chant cessa et Saelion resta figé. La pluie se mit à tomber.
a femme ne bougea pas, continuant de fixer le Sinda, fronçant à peine les sourcils en un ordre impérieux. Elle ne quitta pas l’Elfe des yeux tandis qu’il contournait le promontoire pour rejoindre la rive du lac. Alors que tous ses sens lui hurlaient de prendre la fuite et qu’un appréhension grandissante lui nouait l’estomac, Saelion ne put ordonner à ses jambes d’emprunter une autre voie que celle qui le menait inexorablement vers la rive. Arrivé là, il réalisa que la femme n’avait pas bougé, n’ayant cessé de le fixer pendant sa descente. La lueur de ses yeux avait changé.
Elle avança vers Saelion, lentement, le clouant du regard. C’est à peine si le Sinda réalisa que les vêtements de la femme se trouvaient à quelques mètres devant lui.
’Elfe pensa qu’elle venait les récupérer. Il songea à tendre les vêtements en se tournant pudiquement bien que tardivement, mais la femme poussa un cri rageur : arrivée près de la rive, elle fondit sur Saelion, saisissant d’un geste fluide une épée au milieu des vêtements et l’abattant. Le Sinda eut à peine le temps de saisir ses deux hachettes et de les croiser pour bloquer le coup. La violence du choc le projeta à terre, tandis qu’une feinte rapide le retrouva désarmé, ses armes ayant virevoltées hors de portée. La femme tomba à genoux, coupant toute possibilité de mouvement. Seule la fureur brillait à présent dans son regard. Elle tenait son épée à deux mains et s’apprêtait à l’abattre une nouvelle fois quand un hennissement détourna son attention. Dans un réflexe de survie, Saaelion mit toutes ses forces pour se libérer et roula vers la hachette la plus proche.
l se releva d’un bond après l’avoir récupérée, mais resta à nouveau figé : la femme avait lâché son épée et se tenait allongée, se recroquevillant peu à peu. Et ce sont des sanglots qui montèrent jusqu’aux oreilles de Saelion. Jamais il n’avait entendu son témoignant d’une telle détresse. Il abandonna toute idée de combat, dégrafa sa cape et la posa sur les épaules de la femme. Puis il l’aida à se relever.
raversant les nuages et la brume évanescente, un rayon de soleil atteignit la vallée, tandis que les remous de la cascade furent tel le rire joyeux du ruisseau.