'elfe se tenait assis sur la rambarde, adossé à un pilier, pinçant les cordes de son luth dans une succession chaotique, cherchant peut-être un accord pour entamer une nouvelle sérénade. Les eaux calmes de Belegaer, la cité sommeillante d’Edhellond en arrière-fond, le léger vent qui agitait doucement les prés, les touches de couleur frissonnantes des fleurs parsemant le vert de l’herbe, les couleurs pastel enveloppant le paysage d’un écrin de quiétude…tout invitait à la mélancolie. La cité portuaire des Elfes vivotait, nimbée d’une aura qui lui donnait l’aspect d’une résurgence du passé. Un tableau ayant perdu l’éclat de ses jeunes années, qui pourtant gardait tout son attrait et renforçait l’impression de mystère : nombreux étaient les Humains de Dol Amroth et de la région à venir ici au moins une fois dans leur vie, comme en pèlerinage, restant subjugués par l’atmosphère indescriptible qui émanait du port : voir Edhellond, c’était contempler un reliquat d’une histoire tellement riche et ancienne que les livres peinaient à la restituer complètement. Se promener dans les rues d’Edhellond, c’était arpenter pour quelques heures les couloirs du passé. Contempler le port c’était tourner le dos à l’histoire en marche.
« - Qui est-ce ?
- Un elfe du nom de Saelion, Princesse. Il traîne souvent par ici, perdu dans ses songes. Quoiqu’il reste souvent loin également, errant nul ne sait où.
- Vous semblez bien le connaître…un de vos amis ?
- Oui... enfin je crois.
- Je veux lui parler ! »
La jeune femme n’attendit pas la réponse de son escorte et courut vers l’Elfe, s’arrêtant à quelques mètres de lui, l’observant attentivement. Il avait les traits fins, la peau particulièrement blanche et les cheveux longs de couleur noire teintée de fils argentés. Il devait être assez grand, pour autant qu’il était possible d’en juger de par sa position, et plus mince que la moyenne des Humains.
« Bonjour Saelion… »
L’Elfe pinça encore quelques cordes puis se tourna, relevant lentement la tête et détaillant celle qui l’avait si sommairement abordé. C’est à peine s’il remarqua le garde qui venait de se rapprocher en se plaçant derrière celle qu’il devait protéger : un rapide coup d’œil, une inclinaison légère de la tête en guise de salut et l’Elfe retourna à la contemplation de la jeune femme.
« - Saelion…
- Capitaine…
- Pas encore. Je te présente Wen Lothiriel.
- Enchanté, et charmé.
- Cesse de la dévisager ainsi Saelion.
- Je ne vous dévisage pas, damoiselle, je vous envisage.
- Saelion ! C’est la fille du Prince Imrahil !
- Elle n’en est pas moins exquise. »
Le garde maugréa, l’Elfe adressa un clin d’œil malicieux à Lothiriel qui avait suivi la conversation avec amusement, avant de sourire au jeu de mot et à présent de rire avec légèreté. Elle vint s’asseoir sur la rambarde, contemplant la mer à son tour.
« - On m’avait dit que les Elfes étaient des êtres graves et sérieux, perdus dans quelque mélancolie, rattachés au passé et disparaissant peu à peu.
- Navré de vous décevoir. Quoique si vous exceptez le trait d’esprit et le clin d’œil je correspond en tout point à l’image que vous avez des Elfes.
- Votre ami dit que vous traînez souvent ici, perdu dans vos songes…à quoi rêviez-vous à l’instant ? »
L’elfe tourna la tête pour laisser son regard contempler la mer. Un instant de silence passa que personne ne vint perturber. Une ombre glissa sur la surface de l’eau tandis qu’une mouette filait vers l’ouest, en direction d’un banc de poissons ou d’un bateau de pêche.
« Au dernier navire. »
La jeune femme observa à nouveau l’Elfe. Il scrutait toujours la mer, fixant un point lointain où il paraissait discerner quelque chose qui restait invisible aux yeux des deux Humains.