Puce Etablissement du relais d'Edoras
Edoras, 3015-3A

La requête qu'elle avait formulée n'avait trouvé pour toute réponse que la silencieuse réflexion dans laquelle le Roi s'était plongé. Debout au bas des trois marches menant au trône, son conseiller faisait face à cette étrangère. Le silence régnant depuis d'interminables minutes dans la cour du Meduseld lui pesait, mais rien au monde n'aurait pu le décider à interrompre les pensées de son seigneur. Gríma risqua par-dessus son épaule un discret coup d'oeil, qui se solda dans une légère grimace. Affaiblie par plusieurs mois de maladie, la pensée du Roi se faisait lente, le silence pourrait bien durer... Faute de mieux, il rongea son frein en portant son attention sur cette femme Elfe restée respectueusement à plusieurs mètres du trône. Immuable, elle ne paraissait ne pas avoir bougé d'un iota, ni même cillé une seule fois durant l'attente, offrant à Gríma un contraste déplaisant entre cette contenance et sa propre impatience. Le teint pâle et les traits inexpressifs – du moins à ses yeux – elle avait rivé un regard clair sur le Roi dès son arrivée, et ne l'avait pas détourné un instant, comme indifférente à ce qui l'entourait.
Troublante.
Le mot s'était de lui-même imposé à sa pensée, et il le rejeta aussitôt : la femme lui semblant à la vérité moins troublante que dangereusement captivante. Son arrivée à Edoras en compagnie de deux autres cavaliers avait autant inquiété les gens que décontenancé les gardes, et le fait que son escorte soit clairement composée de deux Rohirrims – dont une femme – n'avait guère atténué ce fait, pas plus que son aptitude à parler rohirique. Au Capitaine de la Garde Royale, elle avait annoncé des noms que Háma n'avait pas reconnu, mais qui furent néanmoins suffisants pour amener le Roi à autoriser l'audience. Gríma retint tant mal que bien un sourire en songeant que – peut-être – son seigneur avait espéré qu'elle serait porteuse d'une aide substantielle, alors qu'au final elle semblait être uniquement venue pour demander une faveur.

Palais du Meduseld

- « Vous ... », commença lentement le Roi, avant d'être interrompu par une quinte de toux sèche. Celle-ci passée, il reprit d'une voix désormais forte, « ... Vous parlez de faits qui, s'ils sont véridiques, sont si lointains que leur souvenir est depuis longtemps effacé. »
Le conseiller ne manqua pas de saisir au vol l'occasion d'appuyer les propos de son seigneur.
- « Et vous venez, sans plus de réserve que de preuve, Elfe », ponctua-t'il de sa voix chuintante, « demander que des terres vous soient cédées ? »
Il se tourna vivement vers le Roi, s'exprimant avec force d'emphase.
- « Seigneur, pourquoi devrions-nous donner ce que notre peuple a versé tant de sang pour protéger ! »
Après avoir eut du mal, alors qu'il se retournait vers l'Elfe, à cacher la satisfaction que lui apportait la situation, son plaisir s'envola rapidement. Là où il avait espéré provoquer un agacement, qui aurait pu amener le Roi à écourter l'audience, il n'obtint guère de la part de la femme qu'un regard appuyé et impavide. Leurs yeux restèrent en contact une poignée de secondes qui lui semblèrent étrangement longues, s'écoulant presque douloureusement sous le poids de ce regard, et de ces traits sibyllins qu'il ne parvenait définitivement pas à interpréter. Se tournant vers le Roi, l'Elfe le libéra de ce regard alors que lui-même s'apprêtait à baisser les yeux.
- « Théoden Roi », répondit-elle enfin d'un ton serein, « longtemps la bannière Cerf d'Argent n'a plus été portée, et peu même parmi les Eldar en gardent mémoire. Puisses-tu ne pas laisser l'absence de souvenir te troubler. »
Gríma grinça les dents en silence, lorsqu'il réalisa que l'Elfe n'entendait visiblement pas ne serait-ce que rebondir sur l'accusation qu'il avait porté au sujet de l'absence de preuve.
Représentation de Théoden - « Théoden Roi », reprit-elle d'un ton égal, sans remarquer – ou soulever – l'agacement du conseiller, « s'il est vrai que je demande une terre où bâtir, ou un édifice, je viens avant tout annoncer et offrir les services des gens du Lond Daer. Qu'un fief ou un bien nous soit - ou non - cédé ne changera rien à cela. »
L'Elfe marqua une pause, le temps d'une profonde révérence, avant de reprendre.
- « En des temps où ma bannière n'était plus, il m'a été accordé de rencontrer ceux de ta lignée, Théoden Roi, et les servir de mes conseils fut toujours un plaisir. Ta maladie ne parvient à voiler à mes yeux la vigueur du sang de Fram, et je me réjouis de voir que la bravoure de tes ancêtres est renforcée par la sagesse du Gondor. »
Tout sincère que le compliment était, il n'eut pas l'heur d'adoucir les traits du Roi. Ne cherchant pas à flatter, l'Elfe ne s'y arrêta pas et continua sur sa lancée.
- « Le ciel s'obscurcit, Théoden Roi. Les Messagers n'ont d'autre dessein que d'aider à réunir les alliés, présents ou d'antan : nul n'est seul face à l'orage qui gronde. »
Ne venant qu'après un moment de réflexion, la réponse ne fut pas porteuse de décision immédiate.
- « Je prendrais le temps de la réflexion. Háma ? Escorte dame Hríviel aux portes de Meduseld. »
L'interpelé répondit aussitôt d'un « Monseigneur », et s'exécuta. L'Elfe, quant à elle, acquiesça simplement aux paroles royales, les ponctuant d'une nouvelle révérence. A la vérité, une décision hâtive – à son bénéfice ou non – n'aurait sans doute pas pesé lourd dans son estime...

Une fois à l'extérieur, et après avoir remercié le Capitaine de la Garde, elle alla retrouver son escorte. Deux rohirrims qui avaient accepté de suivre Maithand et d'endosser les couleurs du Cerf d'Argent ; elle-même ignorait comment il avait su les convaincre... La plus jeune des deux, une femme d'armes en cotte de mailles brillantes, qui n'avait probablement pas encore vu ses vingt premiers printemps, s'enquit de l'issue de l'audience.
- « L'annonce est faite, quant au reste... », l'Elfe marqua une courte pause, les yeux rivés sur le soleil, un discret sourire naissant aux coins de ses lèvres, « Anar brille de mille feux, le reste importe peu. »
La jeune humaine leva à son tour les yeux vers l'astre, se demandant en quoi la lumière du jour avait un quelconque rapport avec la décision que prendrait le Roi à leur égard. Mais elle n'interrogea pas l'Elfe. Pour avoir posé d'autres questions similaires au fil des dernières semaines, elle connaissait désormais trop bien la manie d'Hríviel ; répondre uniquement d'un peu loquace regard amusé...


Auteur : Hríviel