Puce Carnets de Saelion, 3018-3A : Ost-in-Edhil
Fils de Sagesse, à quoi rêves-tu ?

Ost-in-Edhil, 3018-3A (août)



Saelion jeta un dernier coup d’œil par-dessus son épaule. Il ne restait rien. La nature avait depuis longtemps reprit possession des lieux, noyant les ruines qui avaient survécu à la fureur du Seigneur des Dons sous un tapis de végétation. Non pas qu’elle fut abondante en cette région, mais la guerre avait détruit la ville et le temps qui passe s’était chargé des vestiges. Il ne restait comme trace de cette époque que les artefacts sortis des forges du Gwaith-i-Mirdain, la mémoire des Elfes et quelques récits conservés dans de lointains lieux de savoir. Le souvenir…un peu plus au nord dormaient dans les collines les eaux de Merethlin, où la tradition et la légende racontaient que tous les ans des Elfes venaient se recueillir en souvenir des temps anciens. Saelion ne s’y était jamais rendu : les temps anciens étaient encore trop vivaces à son cœur pour qu’il puisse les conjurer par un symbole. Il ne pouvait accepter qu’une cérémonie vienne apposer le sceau du révolu sur des personnes et événements qui avaient fait partie de sa vie. Cela revenait à…s’effacer.
Le Sinda regarda devant lui et enjoignit à sa monture d’avancer au pas. Il avait fait un détour…encore. Il n’avait fait que cela depuis son départ d’Edhellond, cherchant par tous les moyens à ne pas revoir la mer. Lors de son passage sous la frondaison de la Lorien, il avait demandé à la Dame comment il pouvait être sûr que le temps était venu pour lui de partir à l’Ouest. Elle n’avait rien répondu de définitif, lui tendant simplement en murmurant quelques paroles un objet qu’il tenait à présent dans sa main. Un roseau blanc. En souvenir de Doriath.

Roseau Blanc

Saelion tendit le bras, observant le roseau. Il n’avait rien de particulier. La Dame de Lorien le lui aurait-elle donné parce qu’elle savait qu’il porterait ses pas jusqu’aux abords de Nîn-in-Eilph ? Serait-ce seulement ça ? L’Elfe peinait à l’imaginer ainsi, et commençait à se demander s’il n’avait tout simplement pas saisi le message qu’avait voulu lui transmettre Galadriel. Il baissa le bras. Au loin il distingua à la place du roseau une silhouette qui dansait. Seule au milieu des ruines, d’autres ruines. Celles de Tharbad. Saelion se rendit compte qu’il était resté songeur un long moment tandis que sa placide monture suivait les contours du marais puis de la rivière pour arriver aux premiers faubourgs de la ville disparue. Perdue dans une région désertée, dansant sur les ruines, éloignée de plusieurs lieux de tout site d’habitation, la silhouette tenait plus de l’apparition que de la réalité. Une gestuelle désordonnée qui s’accomplissait en un élan gracieux et touchant, limpide, inspiré. Un pas de danse improvisé et virevoltant. L’Elfe s’approcha, fasciné.

La silhouette hésita, comme si elle arrivait au bout de son inspiration, reprit puis s’arrêta à nouveau, alternant ainsi mouvement et immobilité en un enchaînement décousu, comme si elle cherchait ses pas, les inventant au fur et à mesure. La grâce s’évapora, la silhouette s’effondra de tout son long, laissant échapper un objet de sa main droite. Saelion poussa sa monture au galop et combla l’espace qui le séparait de la danseuse en un souffle, sautant à bas de sa monture et s’agenouillant auprès de l’apparition. Ses yeux étaient clos mais sa poitrine se soulevait régulièrement. Une jeune humaine à la svelte silhouette et aux cheveux châtains mi-longs ébouriffés, marquée par une longue cicatrice qui descendait le long d’une de ses joues. Les vêtements fripés et poussiéreux ne laissaient deviner aucune tâche de sang et leur propriétaire ne paraissait pas blessée. Déjà elle rouvrait les yeux, se redressant à moitié, remarquant à peine l’Elfe dont la présence ne semblait pas la surprendre, tournant sa tête de droite et de gauche. Elle repéra enfin l’objet qu’elle cherchait, celui qu’elle avait laissé échapper dans sa chute et qui s’avérait être une bouteille. L’humaine la porta à sa bouche et fit la moue en constatant que plus une goutte ne coulait.
« - Aubergiste !
- Je crains qu’il soit un peu loin pour vous entendre hurler.
- Vous seriez pas son commis ?
- En aucune façon.
- Pfff…à quoi vous servez alors ?
- A rien. »

La jeune femme sourit avec bienveillance, la réponse lui convenant. Elle se redressa, épousseta ses vêtements, récupéra une besace posée contre la base d’un pilier.
« Changez d’orientation. Faites-vous cuisinier ! Je vais me décrasser, préparez-moi quelque chose. Et trouvez-moi à boire ! »
Saelion haussa un sourcil tandis que l’humaine se dirigeait vers la rivière en sautillant et chantonnant.

« Pom popom popom popom popom popom

Tous les petits Goblins, dansent dans la forêt
Moi et mes compagnons allons les approcher
Ils sont vraiment mignons quand ils se font flécher
Nous les achèverons à coup d'épée rouillée

Pom popom popom popom popom popom

Quand tous les petits Orcs, dansent dans la forêt
Moi et mes compagnons préférons nous cacher
Ils ne sont pas mignons, ils sont bêtes à pleurer
Mais nous les évitons pour pas finir broyés

Pom popom popom popom popom popom

Quand tous les petits Trolls, dansent dans la forêt
Moi et mes compagnons préférons nous barrer
Ceux qui les trouvent mignons sont vraiment dérangés
Un jour ils finiront en compote de Pomme

Pom popom popom popom popom popom »
(*)

Fille d'horizon

Saelion revint au campement improvisé où il avait laissé la jeune femme au matin, encore endormie, enveloppée dans la longue cape qu’il lui avait prêtée. Il s’arrêta net, la cherchant du regard. Disparue. Il lâcha le bois et courut vers la rivière. Elle n’y était pas non plus. Il remonta vers le gué, aperçut une silhouette le franchissant. Ce n’était pas elle. En plissant les yeux il distingua un homme de forte carrure et de taille moyenne dont le visage lui rappela quelqu’un qu’il avait croisé à Minas Tirith. Ce fait l’interpella : il y a longtemps que le Gondor ne se préoccupait plus des terres de l’ancien Royaume du Nord…qu’est-ce qu’un homme du Pays des Pierres pouvait bien venir chercher par ici ? Il n’avait même pas de monture, son voyage avait dû durer des mois…l’idée de la monture ramena l’Elfe à sa situation présente. Il rebroussa chemin jusqu’au campement : son cheval n’était plus là.
Saelion releva la tête, regardant vers le nord et fixant l’horizon. Il ne savait même pas comment elle s’appelait…


 
Auteur : Saelion
Paroles de la chanson tirées de Reflets d'Acide
Musique par Loreena McKennitt, image par Leonid Kozienko.